Les jours d'hiver sont courts, les nuits longues. Les temps sont durs dans ces années d'après guerre; jeunes et vieux se distraient comme ils peuvent. La télévision n'existe pas encore. Les téléphones sont rares. Aussi tout est prétexte pour s'occuper le soir. Ce sont les veillées.
La "fête à cochon" est aussi une occasion de se rencontrer entre voisins et amis. Elle commence tôt le matin. Quand le charcutier arrive, c'est le café qu'il faut boire, bien chaud et bien fort, suivi d'une petite gnôle. Le "cochonnier" arrive vers les sept heures, à pied souvent de plusieurs kilomètres, avec tout son matériel sur le dos (machine à hacher, couteaux, cordes, etc …)
Le cochon à engraisser était acheté au début d'année. Bien nourri, il arrivait bien gros et gras aux environs de Noël, aux premiers froids. Dans les campagnes, le cochon fournissait de la viande une grande partie de l'année. Dans le cochon, tout est bon.
La petite gnôle bue, le travail pouvait commencer. La capture de l'animal n'était pas toujours facile : un cochon de 150 kilos et parfois plus, ce n'est pas une partie de plaisir. Il fallait commencer à lui passer une corde à une patte arrière, et après maintes contorsions, l'animal n'était pas toujours coopératif; une autre corde lui était passée dans la gueule, et qui tire que je pousse pour le faire sortir du "cailloni". Pour le saigner, il était suspendu par les pattes arrières à une poutre de la remise à l'aide de moufles, ou souvent attaché allongé sur la caisse du "barot", tombereau mis sens dessus dessous.
Tous les hommes du hameau venaient aider; même les gamins venaient tenir la queue du cochon avant de partir à l'école. Après avoir saigné la bête, brassé le sang pour l'empêcher de cailler afin qu'il soit bon pour faire les boudins, on buvait le petit vin blanc et les voisins rentraient chez eux pour faire la traite et panser leurs vaches. Ensuite il fallait le "bucler" à la paille, c'est dire brûler les poils puis le laver.
La chaudière allumée de bon matin fournissait de l'eau chaude pour la journée. Eau nécessaire au lavage de la tête, des pieds, de la queue et des boyaux, nécessaire aussi à la cuisson des boudins. Les voisins s'étant acquitté du pansage de leurs animaux revenaient vers les onze heures midi pour déguster les boudins chauds. Un vrai régal !
Tout l'après-midi était consacré à la fabrication des saucissons, rosettes, jésus, terrines et pâtés. Le travail se faisait sous le "chapi", hangar souvent pas protégé des courants d'air. Il n'y faisait pas chaud. Aussi pour se réchauffer, le vin chaud de rigueur était apprécié.
La journée se terminait par un bon repas de cochonnailles suivi de la veillée où chacun racontait sa blague; quelquefois les cartes – belote, manille ou cinq cents – étaient sorties. Tard le soir, disons parfois très tard, le charcutier rentrait chez lui avec ses outils sur le dos, laissant dans la neige des traces un peu bizarres.
Il fallait que ces hommes soient solides car le lendemain, ils recommençaient ailleurs.