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Les années 1940 – 1950

Les années troublées de l’occupation allemande se terminent et bientôt une vie normale va reprendre. Après tant d’années de peine et de privations, il faut se réhabituer.

C’est le retour des prisonniers ; ils reviennent amaigris, mais ils sont là. Leur retour s’étale sur plusieurs mois, les premiers au mois de mai et les derniers bien plus tard ;  Le couple d’instituteurs de l’époque, qui possédait une traction, allait en gare chercher les hommes de retour des camps de prisonniers en Allemagne. Pour certains, cela fait six ans qu’ils n’ont pas vu leur famille. A cette occasion, la mairie offrit un banquet dans la cour de l’école.

Petit à petit la vie reprend son cours normal et l’activité économique repart, dans les fermes de même. 

 

A cette époque, de nombreuses activités, presque toutes liées à la vie rurale, existaient : le village possédait deux épiceries ( Mme Malleval et Mr Nayrand P), une boulangerie ( Mr Lagoutte), deux café-hôtels ( Chalandon et Lagoutte), trois cafés dont l’un s’enorgueillissait d’un tabac ( Bonnet, Girardon et Nayrand pour l’herbe à Nicot.)

 

Monsieur Bonnet possédait un camion et assurait le transport des marchandises ; en saison il assumait la collecte des fruits du village, cerises, pommes, poires, prunes, etc… qui tous se vendaient sur Lyon. Il emmenait tout en commission auprès des commissionnaires des quais St Antoine et Bondy. Après toutes ces années de restriction, les clients n’étaient pas difficiles et on ne parlait pas de fruits calibrés…Ce qui se vendait bien aussi, c’étaient les dents de lion appelées encore pissenlits.

 

Il y avait un second transporteur qui possédait aussi un camion ( Mr Malleval dit Toto). Dans les années qui suivirent, Mr Bonnet eut pour successeur Mr Chevallier Ferdinand et Mr Malleval vendit à Mr Dupin Joannès.

 

De nouveau on entendit résonner le marteau sur l’enclume, tant au Tallot chez Mazagol qu’au village chez Dessaintjean, signe que les ateliers de nos maréchaux forgerons reprenaient vie. 

 

Mr Queyroux exerçait avec un compagnon l’activité de maçon ; Mme Queyroux, elle, exerçait ses talents de cuisinière chez les particuliers pour préparer les banquets de fêtes, comme les mariages ou les premières communions.

 C’est qu’à cette époque, un gueuleton était un gueuleton, les menus vraiment copieux se composaient des produits de la basse-cour, du jardin, du verger et de vins du pays. A propos des vins de pays, les années 1947 et 1949 produisirent des cuvées d’une qualité exceptionnelle due, disent les experts, à une très grande sécheresse.

 

Le charron, Mr Gord, successeur de Mr Brossat, avait son atelier au fond du village, vers le carrefour de la bascule. C’était un véritable spectacle que de le voir cercler les roues qu’il fabriquait : les bandages métalliques étaient chauffés au rouge, puis, avec l’aide de plusieurs personnes, de vrais costauds en principe, il procédait à leur mise en place sur les jantes en bois des roues. C’était à la fois un travail de force et de précision.

 

Le menuisier du village, installé sur la route de Bibost, s’appelait Mr Coquard Francis. Il était reconnu pour fournir un travail de très bonne qualité. Mme Coquard Hélène, son épouse, était modiste et ne manquait pas de travail : toutes les femmes se couvraient la tête d'un chapeau pour sortir ou pour aller à la messe.

Mr  Girardon était artisan charcutier en face du café à l’angle du chemin des Brosses et de la rue principale, le café à gauche et la charcuterie à droite. L’hiver, il allait tuer les cochons dans les fermes.

 

Mr Bastion, plus connu sous le nom de Jean Glaude, présentait la particularité d’exercer au lieu dit Chinay le même art, mais d'une façon différente ; si le premier  mettait la "gnaule" dans le boudin, le second préférait la boire … Il avait à faire puisqu’en 1945, à la libération, la fête à cochon avait repris ses droits. Par la suite, plusieurs personnes firent ce travail, car à cette époque, toutes les fermes engraissaient un cochon ou deux pour leur consommation personnelle.

 

L'alambic, qui transformait le "gène" et les fruits en eau de vie ne vint plus s'installer vers la cure. C'était un atelier itinérant et le soir venu, arrivait l'heure de la dégustation des différentes eaux de vie, dégustation des fois un peu poussée; il faut bien se réchauffer en hiver…

 

Après la guerre, les moulins de Mr Bressand et de Mr Metral tournèrent à plein pour fournir les boulangeries locales. Sous l'occupation, en effet, le grain était contrôlé – comme tout le reste d'ailleurs – à la sortie de la batteuse par un contrôleur présent sur le chantier qui comptabilisait le nombre de décalitres récoltés et décidait du volume de la réquisition. Car c'était le temps des réquisitions, sur la basse-cour, les veaux, le beurre….bref ! sur tout.

 

Le commerce de boucherie, sur la place de la mairie, était tenu par Mr Coquard Jean.

 

Mr Nayrand Jean, déjà mentionné avec son café et son débit de tabac, faisait aussi office de cordonnier et de musicien. Avec son fils Paul, il animait les petits bals musette dans la région et avait nommé le duo ainsi formé "Les Andrynas", anagramme de son propre nom.

 

Entre la boulangerie et la mercerie, dans la rue principale, se trouvait l'atelier de Mr Legrand, tailleur de son état.

 

Dans la maison Girardon où se trouvait un café déjà cité, Mr Blanc, le père de Mme Girardon, exerçait la double activité de barbier et de matelassier.

 

Sur la place, la coopérative agricole du Rhône avait un dépôt dont Mr Peylachon, plus connu sous le nom de Brebrette s'occupait.

Un farceur comme pas un, ce Brebrette ! Un jour, un cultivateur du coin voulant sceller des volets vint lui demander un kilo de ciment prompt. Sachant qu'il n'aurait pas grand'chose en retour, il lui refila de l'engrais en place du ciment. Notre paysan eut beau tenir ses volets tout l'après-midi, ils tombèrent aussitôt qu'il les lâcha.

 

Il y eut aussi à une époque un crieur de journaux; il se mettait le dimanche matin à la porte de l'église et vendait "La Voix du Peuple", journal du parti communiste.

 

Le dimanche matin, deux bouchers charcutier vendaient leur marchandise, face à face dans la grande rue. C'était folklorique ! En arrivant, ils cassaient la croûte ensemble et il leur arrivait, pour amuser la galerie, que l'un serve à l'étal de l'autre et vice-versa. Il s'agissait de Mr Nayrand Tonin, qui venait de Bessenay et de Mr Fargeot de St Forgeux. Ils amenaient la viande et la charcuterie dans des malles en osier et pesonne ne trouvait à y redire. Les normes n'étaient pas encore nées ….

 

St Julien comptait encore un horloger, Mr Delestra; Mme Subrin, elle, s'occupait de la couture de foulards venus des soieries lyonnaises, ( glaïeuls Chalandon )

Le père Lavergne, comme on l'appelait, camelot de son état, vendait farces et attrapes sur les vogues et La Louise, sa compagne, faisait des lessives. Personne ne savait d'où ils venaient mais tous savaient qu'ils avaient la gorge bien bien en pente.

 

Les marchands de vaches, au nombre de deux, vendaient des animaux aux cultivateurs de la commune et des environs; ce commerce s'effectuait sur les foires et à leur domicile.

Le marchand de cochons, lui, avait sa place sur les foires et les marchés de la région où il achetait et revendait parfois aussitôt. Il ne faut jamais refuser le premier bénéfice…Pour aller aux foires, il se levait très tôt, mais il était un brin superstitieux : si la première personne qu'il voyait si tôt sur la route était une femme, la journée –il en était sûr – serait mauvaise pour le commerce. 

 

Les temps meilleurs étant revenus, l'hiver vit à nouveau les veillées au coin du feu, les parties de cartes reprirent. Que de bons moments passés entre voisins ! Chacun y allait de sa blague ou écoutait les anciens qui savaient raconter la vie d'autrefois. La grande guerre de 14-18 tenait une grande place dans leurs souvenirs. Je me souviens d'un voisin qui commençait souvent ses histoires  par ces propos en patois : " yeté le 24 du ma d'août le vylle de Noyé…" ** Et c’était parti pour un bon moment de blagues et de rires.

Pendant ces veillées, il arrivait qu'on fasse une mondée de noix, c'est-à-dire que l'on cassait les noix pour récupérer les cerneaux qu'on porterait au moulin  pour que le meunier nous les traite et les transforme en huile.

Quand on était chez le père Benoit G., sur le coup de onze heures du soir, et qu’il avait encore une histoire vécue un peu salée à nous raconter, on l'entendait qui de sa grosse voix disait :" Feme ve don cor à la cave ne botille de bon vin et doneré une po de poti". Et pendant ce temps, il pouvait raconter son histoire sans que sa femme fasse les gros yeux.

Pendant que les hommes jouaient aux cartes, les épouses qui accompagnaient leur mari tricotaient en papotant au coin du feu, faisaient une partie de dames ou préparaient le gâteau et le café qui finiraient la soirée. La télévision n’existait pas encore et les postes de radio étaient rares.

 

Pendant les années sombres, toutes sortes de trafics se sont organisés pour nourrir la population des villes où la disette sévissait. Les ruraux avaient toujours leur jardin, leur basse-cour pour subvenir à leurs besoins malgré les réquisitions. Des gens venaient à pied, de Lyon, chercher du ravitaillement. J'ai vu des citadins arriver avec les chaussures dans la musette, pour ne point trop les user, pour les économiser en sorte.  Et il arrivait que sur le chemin du retour ils se fassent détrousser… Certains fermiers qui vendaient les produits de leur récolte augmentaient à cette occasion les prix. Le marché noir s'est ainsi  insidieusement  installé. Doit-on s'étonner qu'à la libération, dans certaines régions, des fermes s'enflammèrent facilement ? Vengeance ?

 

Il y eut aussi une poignée de résistants ( le maquis) qui campait à la Bigaudière et au crêt d'Arjoux. Ils venaient chercher leur pain au village, ce n'était pas très discret car ils arrivaient à l'heure de la sortie de l'école; Ils nous impressionnaient avec leur mitraillette. Dans cette équipe, certains ont vraiment pris part à la libération.

Durant cette période de la guerre, plusieurs faits ont marqué ma mémoire d'enfant, tel le passage dans le village des Allemands en side-car; 

L'exécution d'un "collabo", après une course poursuite dans les rues de Bessenay;

Au pont du Conan, sur la route de Bibost à Bessenay toujours, l'exécution encore de deux "maquis" pour une soi-disant trahison. Les rafales de mitraillettes résonnaient clairement dans les bois d'Arfeuil;

Les combats de l'Arbresle en 1940. La canonnade s'entendait dans la vallée, j'étais avec ma mère qui "batillonait" sa lessive dans un gourd du Conan; on a fait vite pour rentrer à la maison car le bruit du combat nous a fait croire que tout ça se passait plus près de nous;

En 1940 encore, au moment de la débâcle, la file de voitures de réfugiés sur la route de Chinay m'a profondément marqué; plusieurs furent accueillis par des familles ou "placés" à St Julien;

Je revois aussi souvent une scène comme si elle s'était déroulée hier. Ceci se passait sur le chemin de Martin Balle : quelques soldats qui essayaient de rentrer chez eux dans le Massif Central avaient passé la nuit, hébergés par un brave paysan qui avait ses fils mobilisés. J'étais au courant de ce fait puisque j'étais voisin et âgé alors de six ans. Ils partirent avant jour le lendemain. Il était temps car quelques heures plus tard deux hommes qui  les recherchaient se mirent à me poser des questions. A la façon dont ma mère me fixa droit dans les yeux, je compris qu'il fallait me taire.

 

La première quinzaine d'octobre était  le temps des vendanges; il était exceptionnel de vendanger en septembre, comme ce fut le cas en 1947 et 1949, qui furent deux années célèbres pour la qualité de leurs vins : en effet, ils titraient naturellement 12°. On vit même une cuvée à 13°7 et à une époque qui ignorait la chaptalisation !

Vendanger n'était pas de tout repos – aïe, mon dos ! – mais pendant 15 à 18 jours, ce n'étaient que rires et blagues dans les vignes. Dans nos " garambilles", il y faisait souvent très chaud; à la fin de chaque rang le petit "canon" était donc de rigueur.

La récolte était transportée à dos d'hommes jusqu'aux bennes qui attendaient d'être remplies  en bout de vigne sur la charrette. Le portage se faisait à l'aide de "bennons" que les gaillards se chargeaient sur l'épaule avec l'aide du "bennonier", souvent un jeune homme chargé de vider les paniers des vendangeurs et d'égrapper les raisins sans toutefois écraser les grains; il ne fallait pas que le jus coule par-dessus le bord du "bennon".

Une benne contenait entre 90 et 120 kilos de vendange; il fallait deux bennons et demi à trois bennons pour la remplir. On peut s'imaginer le travail des porteurs quand on sait qu'ils avaient droit à un casse-croûte supplémentaire ! Et le litre de vin, qui attendait bien à l'ombre sous une benne !

A certains endroits, le quatre-heures laissait à désirer en qualité et en quantité. Etant porteur moi-même à l'époque, je me souviens d'un casse-croûte que mes compagnons et moi nous apprêtions à attaquer. Nous ouvrons le panier et sortons le pain et le saucisson " Oh, putain, il est pourri !" Immangeable ! Que faire ? Le chien du patron qui attendait les restes en profita. Et voilà notre Médor qui, le saucisson à la gueule, rentre ventre à terre à la maison. En route, il rencontre le patron qui revenait avec les bennes vides. Notre homme ne fait ni une ni deux et retourne chercher un autre saucisson; Mais dans le même état ! Croyez-moi, on ne l'a pas mangé mais le chien ne l'a pas eu non plus; nous l'avons enterré au pied d'un cep.

Les vendanges ne sont pas concevables sans animation dans les vignes. C'est la course pour frotter les mollets des filles avec les grappes qu'elles avaient oubliées dans les rangées de ceps.

Très souvent le soir après un bon repas, les chanteurs et les conteurs nous régalaient de leurs chants ou de leurs histoires. Sans oublier le musicien qui, sur des airs d'accordéon, nous faisait danser une partie de la nuit. Il nous est arrivé de rentrer au petit matin quand les coqs chantaient. Un coup de main pour le pansage des animaux, la traite du matin, un bout de lard et de fromage et hop ! c'était reparti pour la journée.

Nous étions jeunes et cette vie durait une quinzaine de jours. Malgré le travail pénible, nous vivions cette époque des vendanges comme une belle distraction, car n'oublions pas qu'il n'y avait ni télévision, ni cinéma et que tous les déplacements se faisaient pedibus jambus ou à vélo.

 

A la fin juillet, les moissons terminées, on sortait la batteuse de son abri. Elle était révisée, huilée, graissée par les machinistes, prête à entrer en action. Les grosses réparations et le gros entretien avaient été effectués l'hiver.

Deux et souvent trois hommes suivaient la batteuse de chantier en chantier sur les aires de battages qui s'appelaient le suel.

Le chef organisait la tournée, allant de ferme en ferme pour annoncer la venue de la batteuse tel jour à telle heure. Dans notre commune, c'étaient de petits suels, souvent d'une demi-journée. Les jours précédents l'arrivée de la batteuse, le fermier, aidés par des voisins, rassemblait ses gerbes de céréales en un gerbier, travail délicat car il fallait qu'il soit fait de manière à résister à la pluie et au vent en cas d'orage. Travail d'entraide aussi car tous les hommes du hameau venaient donner la main au charroi avec charrettes et chevaux. C'était presque toujours la même personne qui faisait le gerbier.

Et à la fin de la journée, pas besoin de prétexte pour nous rassembler autour d'un bon repas. Et comme fin juillet il fait chaud, ces soirées étaient joyeuses.

 

L'hiver voyait arriver le temps des fêtes à cochon. Depuis le mois de mai, les gorets étaient nourris pour qu'ils soient prêts à être tués aux premières froidures.

Il ne faut pas oublier que dans les campagnes, le cochon était la nourriture de tous les jours : dans le cochon, tout est bon.

Le charcutier arrivait de bonne heure le matin. Après le café et la petite gnaule, le travail commençait par la capture de l'animal. Avec des bestiaux qui pouvaient dépasser les 200 kilos, ce n'était pas toujours une partie de plaisir. Il fallait d'abord, après maintes contorsions, lui passer une corde à une patte arrière et une dans la gueule. Et que je te tire, et que je te pousse pour le faire sortir de la soue.

Pour le saigner et récupérer le sang, il fallait soit le suspendre avec des moufles à une poutre du hangar, soit le plus souvent le coucher sur la caisse d'un tombereau que l'on avait démonté. Tous les hommes du hameau venaient aider, même les gamins qui participaient en essayant de le tenir par la queue.

Après avoir saigné le cochon et brassé énergiquement le sang pour ne pas qu'il "caille" et soit bon pour le boudin, il fallait le "bucler", c'est-à-dire lui brûler les poils avec de la paille, puis le laver. Ensuite on raclait la couenne soit avec un couteau, soit parfois avec une vieille faux.

La chaudière allumée de grand matin fournissait l'eau chaude nécessaire au lavage des pieds, de la tête et de la queue. Les voisins qui étaient repartis panser leur bétail revenaient sur les heures du midi pour la dégustation des boudins chauds. Un vrai régal ! 

Tout l'après-midi était consacré à la fabrication des saucissons, terrines, pâtés de tête, etc…Le travail se faisait sous une remise ou à l'étable quand il faisait trop froid. Salut les normes sanitaires !

La journée se terminait par un bon repas suivi bien souvent d'une veillée. 

 

** c’était le 24 du mois d’août la veille de Noël

 

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